Je suis musicien.

Je ne l'ai pas toujours cru, je ne l'ai pas toujours su et je l'oublie souvent.

Enfant, j'ai appris le violon, le piano, la guitare, l'alto. Je sais jouer des percus, je connais les rythmes, les gammes, j'entends la musique. J'ai des années de conservatoire, de solfège, de chant, de chorales, d'opéra pour enfant, de lectures de partition, en sol, en clé de fa, en clé d'ut 3ème, 4ème...

Et pourtant.

Et pourtant.

Et pourtant.

J'ai passé mon temps à me comparer aux professionnels, à celui qui sait mieux que moi, à celui qui joue mieux que moi.

J'ai passé mon temps à trouver le petit détail que l'autre connaissait mieux que moi, la gamme incroyable qu'il connaissait que j'ignorais, toujours chercher la plus petite poussière pour bien valider que l'autre est au-dessus et que je n'en suis pas. Que je ne sais pas. Que je ne suis pas un vrai musicien, qu'il me manque quelque chose.

Cela ne vient pas de moi, je crois que ça vient de mes parents, du conservatoire, de cette recherche de la perfection qui permet de disqualifier celui qui n'y est pas.

J'ai intégré ce procédé et l'ai répété pendant toutes ces années. Pour ne pas prétendre, pour ne plus me faire engueuler, réprimander, critiquer, reprocher :

"En m'abaissant volontairement, j'éviterai peut-être les fléchettes, les fusées, les flèches. En me déguisant, je pourrai me faire passer pour un débutant, recevoir des lauriers plutôt que du houx car le houx je n'en veux plus."

Quelque soit le bout par lequel je prends le sujet, objectivement je suis musicien. Subjectivement, j'entends la musique. J'entends les pistes, les sons, les tierces, les voies possibles encore inexprimées qui pourraient s'ajouter pour venir bonifier ou amplifier une pièce existante. J'entends les harmonies, les fausses notes, j'entends la musique. J'ai une très bonne oreille. J'entends où la musique veut aller, où elle peut aller. J'entends ce qu'elle veut dire et ce qu'elle peut dire.

Le cacao m'a guéri à cet endroit là, pendant les cérémonies j'ai "le droit" de jouer. Mon cerveau s'arrête et j'ai le droit de jouer ce que je veux et comme les autres sont aussi dans le cacao, il n'y a pas ces regards, ces critiques, ces doutes. La musique et la vibration sont là, dans l'instant, à chaque instant et tout est simple. Pour moi ce sont des vacances.

J'ai eu le plaisir d'accompagner des groupes, de leur proposer une mélodie, à la guitare ou à l'alto et de leur proposer différentes trames musicales, sans rien dire et j'ai eu la joie de voir le groupe résonner, s'emparer d'une ou plusieurs pistes et de les faire sienne. Je peux alors poser l'instrument et suivre le groupe qui chante, me laisser bercer.

Si je me compare, et je sais trèèès bien le faire, je pourrai trouver dans chaque catégorie, dans chaque instrument que je joue, pour chaque chose que je fais une personne qui la fait bien mieux que moi.

C'est ça qui fait que j'ai eu peur de me montrer, de jouer, de me révéler, que celui là ou d'autres viennent me casser, me critiquer, pointer la faille, l'imperfection, car il y en a, et il y en aura toujours.

Quand je chante ou quand je joue de l'alto je me sens tout nu. Littéralement c'est comme si je tombais mes vêtements et que je donnais à voir qui je suis, mon être, mon âme, ma sensibilité.

L'idée qu'un ou une personne puisse m'envoyer une flèche m'est insupportable, douloureuse. Lorsque cela s'est produit cela m'a tellement cassé. "C'est pas bien, c'est pas comme ça, fais pas ciç, c'est faux."

Il y aura toujours à dire.

Dans ces cas là, je sens tout mon être qui se rétracte, se contracte, tout veut rentrer dedans, toutes mes antennes se replient, remballez c'est fini on ferme le magasin. Je connais cette sensation qui se replie à l'intérieur, ferme le rideau et remet le rideau en métal devant. Tout ce que j'avais pu expandre, tous mes filaments, toute mon amplitude, tout rentre à la maison, je redeviens riquiqui, blotti contre la pierre au fond de ma grotte.

Tout le monde pourra trouver une imperfection et me la dire, me la reprocher. Je sais aussi très bien le faire pour les autres alors je connais le sujet.

J'ai envie de me mettre à nu quoi qu'en feront les autres.

J'ai envie que les réponses des autres, positives ou négatives ne m'affectent plus.

J'ai envie d'offrir ma vibration, de partager des bouts de qui je suis.

D'être libre et dans cette liberté, de pouvoir entendre, accueillir, recevoir les retours sans qu'ils viennent m'obliger, me convaincre à retourner derrière ma carapace.

Je connais la perfection. Elle existe dans mon mental.

Elle n'est pas de ce monde. C'est une quête infinie et insatiable de mieux, de tu aurais pu ou de j'aurai dû. Je ne la laisserai plus guider ma vie.

J'embrasse mon imperfection et mes défauts. Et à ceux qui voudront les corriger j'essaierai de sourire, tout nu sans rentrer à l'intérieur. J'essaierai de rester là, debout, tout nu, en souriant et de donner la priorité et la confiance à ma voix intérieure plus qu'à cette voix extérieure.

Ne plus donner le pouvoir à chaque voix extérieure de me faire me ratatiner.

Ecouter ma voix intérieure, la partager et la soutenir de tout mon coeur. Comme si une équipe de rugby venait soutenir ma part sensible et la protéger, lui donner confiance.

Je suis musicien.

Il est temps que je vous partage la vibration de mon âme.

A moi de constituer mon équipe de rugby intérieure au service de mon sensible ;-)